Ce rapport sur les conditions d’exercice des personnels d’obstétrique nigériens en milieu rural a été réalisé par le LASDEL (Laboratoire d’études et de recherches sur les dynamiques sociales et le développement local), et est issu de la recherche Préférence des agents de santé d’Afrique à exercer en milieu rural, financée par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS). Le rapport complet, rédigé par Mahaman Moha, Valéry Ridde et Christian Dagenais, et publié en décembre 2015, est disponible plus bas au téléchargement.
Le LASDEL (Laboratoire d’études et de recherches sur les dynamiques sociales et le développement local) est un centre de recherche en sciences sociales implanté au Niger et au Bénin, dont les principaux axes de travail portent sur la délivrance des services publics, la mise en œuvre des politiques publiques et les intéractions avec les usagers (santé, hydraulique, pastoralisme, éducation, justice, etc.), les pouvoirs locaux et la décentralisation, et l’intervention des institutions de développement. Le LASDEL recourt à des méthodes qualitatives fondées sur les enquêtes de terrain approfondies. Il met à la disposition des chercheurs et doctorants son Centre de Documentation de Niamey. Il contribue à la formation de jeunes chercheurs, en particulier avec son Université d’été.
Personnels d’obstétrique nigériens et conditions pour exercer en milieu rural. Cas de la région sanitaire de Tillabéry.
Résumé:
La mortalité maternelle demeure une problématique majeure en Afrique et notamment au Niger. L’une des stratégies efficaces pour réduire les décès maternels est de s’assurer que les femmes accouchent auprès d’un personnel qualifié dans des centres de santé qui offrent des soins de qualité. Cependant, la distribution du personnel de santé ayant des compétences obstétriques est très souvent défavorable aux zones rurales. Au Niger, moins de 15% du personnel obstétrique travaillent en milieu rural et seulement 21% des femmes du milieu rural accouchent auprès d’un personnel qualifié, contre 83% pour celles du milieu urbain. Les inégalités d’accès aux accouchements et ses conséquences sur la mortalité maternelle restent donc très importantes et doivent être l’objet de mesures énergiques. Pourtant, les conditions qui permettraient à ce personnel de santé au Niger d’accepter de travailler en zone rurale, et d’y rester, sont encore peu connues. Ainsi, à la demande du ministère de la santé et en collaboration avec l’OMS, une équipe du LASDEL et de l’Université de Montréal a réalisé une recherche visant à comprendre ces conditions.
La recherche a été effectuée au moyen de méthodes mixtes où les données qualitatives sont restées prépondérantes sur les données quantitatives. L’étude s’est déroulée tout au long de l’année 2015, après son acceptation par le comité d’éthique national. Au plan national, des entrevues qualitatives ont été réalisées auprès des responsables du ministère de la santé et de trois écoles/instituts de santé publique. Au niveau local et régional, le contexte de la recherche est celui de la région de Tillabéry et notamment des trois districts de Tillabéry, Ouallam et Téra ; région et districts où les problèmes de ressources se font le plus ressentir selon les responsables. Dans ces districts, les enquêtes de terrain se sont déroulées au sein des trois hôpitaux et de 14 centres de santé intégrée choisi avec les équipes de district et selon le principe du contraste au regard du critère d’enclavement. Au total cent soixante- trois (163) entrevues ont été réalisées, retranscrites et analysées. Un exercice de cartographie conceptuelle a été réalisé avec deux groupes (n=29 ; n=11) d’apprenantes obstétriciennes de l’école de santé publique et de l’action sociale (ESPAS) de Niamey et de l’institut de santé publique de Niamey. La collecte des données n’a pas été facile au niveau national par manque d’intérêt ou réclamation pécuniaire par certains, mais très appréciée au niveau local, bien que la question de l’utilisation des résultats ait été posée.
L’analyse documentaire montre que les problèmes de répartition inégale du personnel de santé et les difficultés de le retenir en zone rurale ont été mis au jour depuis très longtemps dans les politiques publiques. Plusieurs stratégies d’action ont été proposées de manière régulière dans ces textes, c’est leur mise en application qui ne semble pas encore effective, à travers notamment le Plan de Développement des Ressources Humaines (2011 – 2020). Cependant, ce problème de ressources humains demeure négligé. Les entrevues ont montré que les participants suggéraient que la notion de ruralité devait être comprise dans sa complexité. La ruralité peut revêtir de multiples formes, soit de l’isolement et de situations nomades à une ruralité disposant de certains traits de l’urbanité moderne. Mais la ruralité c’est aussi, pour le personnel de santé, ne pas disposer des moyens de remplir ses missions cliniques et de mobiliser des savoirs. Il faut aussi devoir être disponible en permanence pour les populations locales, comparativement aux collègues du milieu urbain qui sont bien moins sollicités et disposent de temps libre (car plus nombreux), au-delà des avantages de la vie en ville. En ce qui concerne la motivation à exercer en milieu rural, il y a les agents de santé qui refusent, ceux qui aiment et restent, ceux qui n’aiment pas mais le tolèrent.
Les facteurs qui favorisent la fidélisation du personnel en milieu rural sont notamment le recrutement par une ONG locale et un poste à responsabilité qui donne accès à des avantages multiples. L’affectation du personnel en milieu rural ne dispose pas toujours d’un processus juste et transparent et il fait face à de multiples interventions et sollicitations à tous les niveaux (central et local) provenant souvent du politique. L’échelon du district peut parfois ne pas être consulté dans l’affection de son personnel. Partout, le personnel insiste sur le caractère limité de l’effectif en personnel de santé en zone rurale et le besoin important d’affectations. Certains centres de santé éloignés ou insulaires ne trouvent ainsi quasiment jamais preneur lorsqu’il faut nommer un agent de santé. L’importante féminisation du personnel semble être une contrainte aux nominations rurales, non pas pour leur compétence mais leur réticence à vivre loin des centres urbains lorsqu’elles sont mariées. La norme sociale (et administrative informelle) est que la femme doit suivre son mari. Les hommes seraient donc plus affectés dans les centres de santé isolés que les femmes. Toutes ces difficultés ont pour conséquence la présence de nombreux personnels supplétifs dans les formations sanitaires, pas toujours formés et compétents pour répondre au besoin. En outre, la forte contractualisation des agents dans le système de santé, corolaire du manque de titulaires, n’est qu’un palliatif éphémère au recrutement rural car à la première occasion (contrat ONG, mariage, non titularisation, etc.) ce personnel quitte ces zones. En outre, en milieu rural, nous avons constaté de très nombreuses formes d’absentéisme : résidentiel, gériatrique, confessionnel, maladie, et militant. La peur d’être affecté en milieu rural et les mauvaises conditions de travail (notamment la perception de surcharge et le besoin de disponibilité permanente) et de salaire (observées ou vécues) ont même provoqué pour quelques sages-femmes un changement de carrière, devenant policière, professeure ou commerçante. En revanche, certaines sages-femmes contractuelles arrivent à s’adapter à l’éloignement de leur mari et famille ou leur vie maritale locale pour quelques temps, en attendant un regroupement familial.
Les lacunes importantes du système de gestion des carrières ainsi que la méconnaissance de ces mécanismes par les agents de santé affectent le placement en milieu rural. Dans tous les districts visités, les conditions de vie et de travail (eau, électricité, logement, transport, téléphone, bonne, école, etc…) en milieu rural, constituent un des principaux facteurs répulsifs chez les agents de santé à exercer en milieu rural. Les villages trop éloignés et isolés sont qualifiés de « prison » par les agents de santé. Ainsi, les freins au recrutement du personnel en milieu rural sont-ils consubstantiels des déterminants du système de santé et de la santé des populations. C’est du développement global du milieu rural dont il est ici question. Ajoutons que les événements sécuritaires de ces dernières années dans la région ne facilitent pas le recrutement dans les zones isolées, surtout pour le personnel contractuel.
Plusieurs facteurs ont été explicités comme motivation intrinsèques par le personnel rencontré pour choisir de rester en milieu rural : la vocation (de multiples formes), l’altruisme, le rôle du modèle et l’attrait de la blouse, une histoire de famille. Une des motivations extrinsèques importante est le souhait de devenir fonctionnaire, et pour cela, certains vont accepter de devenir contractuel en milieu rural et isolé, conçu comme un point de passage pour une situation meilleure. Les agents évoquent aussi le fait d’obtenir une responsabilité (et les avantages associés) au sein de la formation sanitaire ou d’être originaire d’un milieu rural. D’autres affirment que la reconnaissance sociale locale dans les villages est gratifiante, elle se manifeste par i) les salutations et les remerciements ; ii) l’octroi de la bienséance ; iii) le participation des communautés aux actions de santé ; iv) les différents cadeaux et services. Il arrive aussi que certaines femmes épousent un ressortissant du village rural, ce qui est parfois une réussite stratégique des villageois, et donc reste plus longtemps. Lorsque les relations entre les agents de santé et les villageois sont bonnes, ces derniers s’organisent pour tenter, dans la limite de leurs moyens, d’améliorer le quotidien des agents pour faire en sorte que leur vie au village soit plus facile à vivre. De nombreux témoignages montrent que cette mobilisation est propice à la fidélisation du personnel, a partir du moment où ce dernier tente de s’adapter localement. À l’inverse, de mauvaises relations avec les populations, un engagement politique différent de celui de la majorité du village ou encore le refus de participer à (ou la création) de mauvaises pratiques de gestion communautaire de l’argent des centres de santé seront des éléments favorables au départ.
Dans l’exercice de cartographie conceptuelle, les élèves sages-femmes ont proposé une liste de 94 éléments qui favoriseraient leur acceptation d’un poste en milieu rural. Ils sont regroupés statistiquement en 10 facteurs qui sont par ordre d’importance, en commençant par le plus important :
- Gratifications supérieures aux zones urbaines
- Zone favorable à la vie familiale
- Prise en charge totale et prévention pour la sage-femme
- Mesures sécuritaires
- Disponibilité du personnel qualifié et travail en équipe
- Participation et collaboration de la communauté
- Disponibilité du matériel et équipements nécessaires
- Respect des droits et devoirs de la sage-femme
- Conditions de vie favorables
- Accessibilité de la zone et moyens de déplacement
Cette recherche au Niger montre que les enjeux de la présence du personnel de santé en milieu rural sont connus des décideurs depuis longtemps et si elle a permis de mettre au jour de nombreux facteurs à cet égard, il devient urgent que des actions soient prises pour que les populations rurales puissent enfin bénéficier des services dont ils ont besoin.
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