Cet éditorial, rédigé par Andréa Caprara et Valéry Ridde, a été publié en novembre dernier dans le numéro 23 de la revue Global Health Promotion. Il aborde le besoin de renforcement de la promotion de la santé en Amérique latine à travers l’exemple de l’épidémie de Zika. Cet article est aussi disponible en espagnol, en portugais et en anglais.

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Caprara, A., & Ridde, V. (2016). Zika : nouveau révélateur du besoin de promotion de la santé en Amérique latine. Global Health Promotion, 23(4), 3–5. https://doi.org/10.1177/1757975916671289

Alors que nous fêtons cette année les 30 ans de la Charte d’Ottawa (1), l’arrivée du virus Zika en Amérique latine et sa déclaration comme une urgence de santé publique mondiale par l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), fin 2015, nous rappelle combien ses piliers sont aussi peu connus que mis en œuvre à travers le monde.

En effet, au cours de ces trois dernières années, l’Amérique latine a dû faire face à différentes épidémies de maladies virales transmises par le même vecteur, le moustique Aedes aegypti. Dans un contexte où les populations et les autorités sanitaires sont largement préoccupées par la plus importante infection virale au plan de sa morbidité et de ses impacts économiques, à savoir la dengue, l’Amérique latine a dû subir, en plus, l’émergence du Chikungunya en 2014, puis le Zika en 2015. Pour les acteurs chargés du suivi épidémiologique à l’échelle locale, les cartes n’ont plus d’espace libre pour placer les nouveaux cas (Figure 1). Cette dernière épidémie est devenue encore plus affligeante et alarmante lorsqu’on a commencé à entrevoir ses liens potentiels avec une forte recrudescence des microcéphalies et autres anomalies congénitales du fœtus et des bébés, laissant croire à une transmission humaine verticale s’ajoutant à une possible transmission sexuelle.

Carte du quartier de Waldemar Alcantara de Fortaleza, au Brésil: cas du virus Chikungunya (vert) et Zika (jaune).

Figure 1. Carte du quartier de Waldemar Alcantara de Fortaleza, au Brésil: cas du virus Chikungunya (vert) et Zika (jaune).

Mais comme bien souvent dans l’histoire de la santé publique et des luttes contre les maladies, les réactions semblent simplificatrices du contexte de ces épidémies. Les débats semblent focalisés sur la recherche d’un vaccin miracle, alors que celui introduit récemment pour la dengue en Amérique latine est déjà remis en question (2). Les appels à projets de recherche se focalisent sur les enjeux cliniques et médicaux, et parfois plus sommairement sur les interventions de lutte contre le vecteur. On peut en effet s’étonner que les données probantes à l’égard de l’efficacité et de la mise en oeuvre de ces dernières soient si rares, alors que la connaissance du rôle de ces vecteurs dans la transmission de ces maladies est très ancienne (3). Tous les systèmes de surveillance n’ont pas encore intégré ce nouveau virus dans les maladies à déclaration obligatoire pour tous. De plus, les interventions en cours semblent elles aussi s’inscrire dans un paradigme biomédical : épandage aérien et terrestre d’insecticide, lâchage de moustiques transgéniques, pose de moustiquaires imprégnées d’insecticide, larvicide dans les réservoirs d’eau, etc.

Si ces pistes de recherches et ces formes d’interventions sont toutes utiles et intéressantes, bien que le recours systématique aux insecticides chimiques soit discutable sur le plan écologique et sanitaire, ce retour vers une approche clinique et biomédicale est inquiétant. C’est comme si la Charte d’Ottawa (1) de 1986, la Déclaration de Sundsvall (4) de 1991, la déclaration ministérielle de Mexico (5) de 2000, ou plus récemment les conclusions et recommandations de la Commission de l’OMS sur les Déterminants Sociaux de la Santé (6) de 2008 étaient une nouvelle fois complétement oubliées. On ne reviendra pas ici sur le contenu de ces multiples déclarations et l’importance qu’elles accordent aux déterminants sociaux de la santé, aux inégalités sociales de santé (7) et à l’approche écologique en santé (8,9).

Mais les réactions à l’arrivée de Zika en Amérique latine nous semblent révélatrices du besoin de réaffirmer l’importance des valeurs et des actions promues par la promotion de la santé. Les recherches et les enseignements doivent être plus interdisciplinaires qu’ils ne le sont. Le rôle de la globalisation, de la consommation de masse, du démantèlement des services publics par l’idéologie néolibérale dominante et de l’accroissement des inégalités sociales de santé en Amérique latine doit faire l’objet de priorités de recherche… et d’actions autour de ces épidémies.

Si certains prédisent que l’épidémie de Zika va s’estomper et que le virus ne reviendra pas avant de nombreuses années, cela ne doit pas empêcher les actions car Aedes provoque d’autres maux. Par exemple, les études sur les déterminants sociaux de la mortalité causée par la dengue sont très rares (10) et les conséquences sociales, humaines et psychologiques des enfants victimes de microcéphalie doivent être étudiées par les sciences sociales. Les recherches interventionnelles où de multiples méthodes d’évaluation sont mobilisées pour mieux comprendre les interventions dans leur globalité doivent être financées.

Les actions écologiques (11) et respectueuses de l’environnement (12) de lutte contre les vecteurs ne doivent plus être étudiées sous le seul angle entomologique, mais elles doivent mobiliser toutes les disciplines pour étudier ces interventions qui sont par nature complexes. Les approches de recherche action doivent être mieux valorisées par le milieu académique et par ceux qui les financent, dans ce contexte où les penseurs latino-américains ont été des précurseurs (Paolo Freire et Orlando Fals Borda, en particulier). Il convient de faire appel aux sciences sociales pour mieux comprendre les interventions menées par les États et les collectivités locales (9). Pourtant, bien qu’un des rares cours sur la dengue en Amérique latine (http://www.redaedes.org/) ait trouvé opportun de se concentrer en 2016 sur Zika, en quatre jours de formation, aucune conférence ou référence aux sciences sociales n’a été suggérée. La présentation de clôture n’a évoqué aucune piste de recherche à cet égard, seuls les enjeux concernant les vaccins et les aspects biomédicaux ont été évoqués.

Les actions à l’échelle locale doivent aussi prendre en compte les déterminants sociaux de la santé et être plus intersectorielles, en ne créant plus de cloison (13), comme c’est encore parfois le cas, entre les agents de santé et les agents de lutte contre les vecteurs dans certaines villes, entre l’urbanisation et l’accès aux services sociaux de base (comme éducation et contraception…). La participation des populations, et notamment des femmes (14), aux décisions qui les concernent, elles, leur famille et leur communauté, doit être à nouveau au cœur des démarches sans tomber dans l’angélisme de certaines approches. Les recherches cliniques et le développement d’un vaccin doivent évidemment se poursuivre, mais pas au prix d’une mise à l’écart de l’analyse de la réorientation des services de santé vers la première ligne, de la formation et de la présence du personnel de santé qualifié et de la réduction des inégalités d’accès aux soins pour une couverture universelle en santé (15).

L’arrivée (et bientôt le départ) de Zika en Amérique latine est une belle fenêtre d’opportunité pour que les entrepreneurs politiques de la promotion de la santé fassent entendre leur voix… mais encore faut-il qu’ils soient écoutés par des « décideurs politiques [qui] ont eu à prendre des décisions en présence d’importantes incertitudes » (16) ! Mais il faut maintenant agir car sans cela, Aedes et les inégalités sociales vont continuer leur travail de sape.

Conflit d’intérêts Aucun conflit d’intérêt déclaré.

 

Références:

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